lundi 16 juin 2014

Welcome to New York



J’ai hésité longtemps avant d’écrire quelque chose à propos de ce film, qui dépasse de loin mes attentes en termes de médiocrité. Au-delà de l’esthétique qu’on ne peut retirer à Abel Ferrara, ce film pose malgré lui une question importante relative à l’objectivité et l’utilisation de l’image.

Le principal défaut de ce film est qu’il se réclame d’un réalisme qui ne peut exister, car l’affaire DSK ne pourra jamais révéler l’exactitude des faits de l'affaire du Carlton. Il s’agit donc d’un film qui, d’entrée de jeu, se met des bâtons dans les roues, puisqu’il fonde son scénario sur une affaire non résolue, en se présentant comme détenteur de la vérité. Le film ne pose aucune question relative à l’objectivité. Il fonce, tête baissée, vers une version artificielle de la réalité, en fondant son propos sur la vision des médias. Il s’agit d’une mauvaise interprétation de l’affaire du Carlton, qui condamne DSK, dès les premières minutes du film. La caméra n’aurait jamais dû entrer dans la chambre, mais rester dans le couloir de l’hôtel pour affirmer sa volonté d’objectivité et de vérité. Au lieu de ça, on assiste à des scènes qui, soit disant, reproduisent les évènements de l’affaire, et qui donc ne questionnent plus la réalité. A partir de ce moment, le film perd tout son intérêt, car il manipule le spectateur de façon perverse, et diffuse une image de DSK sans preuves. Ferrara, pourtant adepte des questionnements sur l’image, semble avoir oublié le pouvoir et la responsabilité du cinéaste lorsqu’il les manipule. Je pense à Resnais, qui nous a appris à regarder et à prêter attention à la nature des images, notamment avec
Hiroshima mon amour. Il a eu l’intelligence de parler de l’impossibilité de reproduire un évènement, dont le souvenir repose entièrement sur la subjectivité du vécu. Tout le contraire de Ferrara, qui se sert de l’affaire de DSK pour en faire sa propre interprétation, et créé ainsi un personnage pervers et monstrueux. Je ne discuterai pas ici l’exactitude de ces faits, car l’intérêt n’est pas là. Le véritable crime dans ce film est son manque d’objectivité, et la cruauté avec laquelle il étale des faits qui touchent l’intimité d’une personne réelle.

Car même si ce qui est montré dans le film est vrai, a-t-on envie de le savoir de cette manière ? A-t-on envie d’être confronté au derrière de Depardieu qui, par sa seule présence au casting oriente déjà le ressenti du spectateur. Je pense qu’il aurait été juste et plus intéressant de prendre de la distance par rapport à l’histoire originale, dont Ferrara a reproduit les moindres faits officiels. Il est d’ailleurs absurde de reprendre le déroulé chronologique de l’affaire, et de changer le nom des personnages. On y va carrément, ou pas. Ferrara essaye de se convaincre qu’il s’inspire de l’affaire DSK pour parler de perversion et d’obsession, mais il se perd entre réalité et fiction, et ne permet donc pas au spectateur d’avoir un regard libre sur ce qu’il voit. Son erreur est de vouloir traiter un sujet à partir d’une histoire vraie, en ne respectant pas le mystère et le choc lié à cette affaire. Il interprète l’histoire en donnant à son film des allures de documentaire. Si ça ce n’est pas de la propagande. Il faut choisir : un documentaire avec des images d’archives et des interventions questionnant la vérité, un biopic de DSK toujours en questionnant l'affaire du Carlton et en suggérant une possible obsession, ou une fiction détachée de l’affaire originale qui dépeint les travers d’un homme public.

Je repense à ce qu’a déclaré Ferrara : « Je m’en fou de DSK. Ce qui m’intéresse, c’est les mecs qui poursuivent une addiction sans aucun égard pour les gens qui les aiment, qui les entourent ou veulent les aider… Je connais. J’ai peur de ça. Ce personnage, c’est moi. »Si Ferrara se « foutait » vraiment de DSK il n’aurait pas fait ce film, qui en définitif n’existe que dans le boum médiatique qui en découle. Si Ferrara voulait vraiment parler d’addiction en s’inspirant de DSK, il pouvait le faire sans manipuler l’esprit du spectateur avec des références aussi réelles et ancrées dans son esprit. Le film aurait eu un intérêt cinématographique, psychologique et social pour ce qu’il aurait été, et non pour la personne de DSK.

Au delà de toute interprétation relative à la vérité de cette affaire, je trouve le choix d'approche de ce film d'une médiocrité et d'une violence sans pareil. Le cinéma se doit de questionner la réalité, de représenter le monde, et non de faire le procès des hommes. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire