mercredi 17 juin 2015

Valley of what ?

L’euphorie cannoise autour du dernier film de Guillaume Nicloux, est égale à l’ambiance qui règne sur la Riviera en cette période : superficielle et infondée.




Sur fond de toile cinéma, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu incarnent « leur propre rôle » de stars. Mais dans cette réalité parallèle, ils auraient eu une relation dans le passé qui a donné naissance à leur fils Michael. Ce dernier, avant de mourir, a laissé à chacun de ses parents une lettre, dans laquelle il leur donne rendez-vous après sa mort, dans la Death Valley aux Etats-Unis. Les deux acteurs doivent y passer plusieurs jours, durant lesquels ils devront suivre un planning précis, qui les conduira à revoir leur fils.

Par où commencer avec ce synopsis…

Premièrement, et je dirais, l’erreur magistrale de ce film est de vouloir créer une réalité parallèle, dans laquelle Isabelle Huppert et Gérard Depardieu auraient eu une relation. Quel est l’intérêt ici de relier cette histoire à des figures connues du 7ème Art, sinon de mettre le spectateur dans une confusion inutile. Ce choix, qui pourrait faire croire qu’une profondeur particulière est donnée aux personnages, ne fait que décentrer le spectateur du récit pour les mauvaises raisons, car il s’interroge sur Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, au lieu de s’intéresser aux parents, au couple, et aux individualités qu’ils représentent. Pourquoi ce choix d’associer un nom avec une personnalité et une histoire qui ne lui correspondent pas ? Quelle est l’éthique d’écriture et de cinéma qui est diffusée ici ? Il aurait été bien plus intéressant de faire vivre de vrais personnages indépendamment des acteurs qui les incarnent, surtout avec une histoire aussi intimiste et dramatique que celle-là.

Deuxièmement, le film se perd à cause d’une identité générique floue. A force de vouloir hybrider les genres cinématographiques on se retrouve parfois avec un potage indigeste. A la fois bon petit film français, mettant en tête d’affiche des stars du cinéma français, et hérité d’un culte du rien du cinéma français ; mais également thriller fantastique américain, où des fantômes rôdent, et des individus déformés apparaissent pour annoncer la mort. Pourquoi pas, mais de quoi parle le film ? Parce que c’est la question qui m’est restée en travers de la gorge, lorsque les lumières se sont rallumés sur une fin inachevée. Mon voisin m’a répondu : « Ça parle de la mort ». Il y a quand même d’autres moyens de parler de mort sans faire glander Gérard Depardieu et Isabelle Huppert dans le désert  pendant une heure et demie. Vous me direz : « Mais nan, c’est formidaaable ce film sur la culpabilité des parents, dans cet environnement vaste et pesant, à la fois thriller et romantique, j’adooore ».

Troisièmement, et ce qui clos cette critique avec évidence, la mise en scène ne fait rien pour relever le niveau et sauver le film. Oui, les travellings ont une esthétique particulière, mais quelle longueur ! Oui les décors sont beaux, mais à quoi servent-ils ? A traduire l’état émotionnel des personnages, créer un huis clos en extérieur où la chaleur étourdit et donne des hallucinations, oui mais encore ? Rien ne se dit véritablement, les deux protagonistes ressassent leurs vieux souvenirs en attendant la venue de leur fils mort et se complaisent dans leur malheur de mauvais parents. On dirait que le film fait tout pour casser l’image des deux acteurs avec glamour, mais n’y parvient pas. Sans doute ce qui m’a dérangé est le choix d’une représentation pathétique d’une condition pathétique, celle de tout individu. Ils ont été de mauvais parents, leur fils est mort, et voilà quoi, ça s’arrête là.




Valley of Love, de Guillaume Nicloux, actuellement en salle.

vendredi 12 juin 2015

La Belle promise




Badia, jeune palestinienne orpheline, arrive Villa Touma pour vivre avec ses trois tantes. Habituée à la vie joyeuse et collective de l’orphelinat, la jeune fille est troublée par la vie quotidienne des trois femmes, qui vivent enfermées et raccrochées à leur vie passée. L’arrivée de Badia bouscule révèle des secrets, et bouscule leurs habitudes car elles décident de lui trouver un mari.

Troisième film réalisé par la cinéaste israélienne Suha Arraf, La Belle Promise est un film riche et intelligent sur les traditions et le rôle clé des femmes dans leur transmission. Les tantes de Badia vivent, chacune à leur manière, dans un culte du passé. Le lieu de la maison traduit cela, d’une part par son agencement, car les meubles appartiennent à un temps révolu, d’autre part par le huis clos qu’elle représente, car les trois femmes ne sortent jamais de la maison. Au long du film, Badia apprend à vivre comme elles, et découvre leurs secrets. C’est ainsi que le drame s’installe, car la jeune fille, qui n’a encore rien vécu, adopte déjà un quotidien de vieille femme. Badia le dit : « Ma vie s’est arrêtée lorsque je suis arrivée dans cette maison ». Ce lieu est à l’image des limbes, dans lesquels ses occupants sont bloqués entre la vie et la mort, hantés par leur passé. On a une impression de fatalité, et une grande angoisse nous occupe tout au long du film, car l’avenir de Badia est menacé par ce lieu.

Ce drame, au discours engagé sur la condition des femmes et la place des traditions – les tantes sont issues de l’aristocratie chrétienne – est une ode à la jeunesse et la liberté. Un film qui montre la grande complexité des débats sur la religion et les différences culturelles, et l’ambiguïté de la place de ceux qui en font l’objet. Les tantes de Badia vivent avec des regrets mais par devoir pour leurs ancêtres et la tradition. 


Film poétique, subtil et intelligent, aux couleurs d’un pays brisé par des conflits sans fin, et dans lequel on peut saluer la merveilleuse interprétation des quatre actrices (Maria Zreik, Nisreen Faour, Cherien Dabis et Ula Tabari) qui rayonnent par leur beauté et leur talent. 

La Belle promise, de Suha Arraf, Actuellement en salle. 

mardi 9 juin 2015

Hannibal est de retour...


Vue la fin de la saison 2, le retour du grand cannibale ne pouvait que décevoir, tant l’attente fut longue et génératrice d’excitation. Pour contrebalancer l’intensité du dernier épisode de la saison 2, la saison 3 s’ouvre sur un épisode qui ralenti l’action. D’une part, en consacrant l’épisode entièrement à Hannibal, que le spectateur suit pour la première fois d’aussi prêt. D’autre part, en effectuant de nombreuses ellipses à travers trois temporalités : une scène qui succède au drame de la fin de la saison 2, un flashback des repas qu’inflige Hannibal à Albert Gideon, et la vie quotidienne d’Hannibal depuis, en Italie où il vit avec Bedelia du Maurier (Gillian Anderson). Mais ces ellipses sont trop nombreuses et frustrantes pour le spectateur, qui n’est pas rassasier avec ce retour dans lequel Will Graham est absent. Le seul intérêt de l’épisode est le développement d’une relation malsaine entre Hannibal et Bedelia, qui serait devenus mari et femme… C’est donc un retour très calme pour la série, qui fait languir ses fans. Rien de nouveau sous le soleil des psychopathes donc.

mercredi 20 mai 2015

Mad Men, adieu Don Draper.

Mad Men, c'est fini. La série a tiré sa révérence cette semaine, avec l'épisode final de la saison 7, diffusé lundi soir sur AMC, et qui a rassemblé plus de 3 millions de téléspectateurs. 



C'est toujours la même nostalgie quand vient l'heure de dire au revoir à ses héros préférés. J'ai longtemps méprisé Don Draper pour son attitude, misogyne et détachée, qui fait de lui l'un des personnages les plus atypiques de l'univers des séries télévisées. Mais il m'a déçu autant qu'il a su me surprendre, dégoutté autant qu'attiré, et plus que tout il m'a ému. J'ai suivi la vie de ce personnage pendant 7 ans, et le lien qui s'est créé entre nous est semblable à celui que deux individus réels peuvent partager. Mieux même, car comme le pense Umberto Eco, nous connaissons mieux les personnages de fictions que les individus réels, car les traits de leur personnalité sont mieux délimités. Don Draper, par les multiples facettes qu'il a dévoilé au cours des 7 saisons de la série, représente autant la nature humaine par sa richesse, que par la fatalité de son existence. L'enjeu de la série, était de savoir si ce personnage allait trouver la paix, en dépit d'une existence traumatique (enfance douloureuse et recherche d'identité), et d'une époque marquée par l’ambiguïté du rêve américain. Pour moi c'est un pari tenu, car Mad Men trouve sa voie et s'achève brillamment, sans chercher l'impossible. Cette série restera comme la mieux réussie dans son travail sur la représentation de la nostalgie, en grande partie grâce à l'époque choisie et la manière de la mobiliser pour l'évolution psychique des personnages.



vendredi 15 mai 2015

GIRLS ONLY


Girls Only, dernier film de Lynn Shelton, est une comédie romantique dans les règles de l’art hollywoodien. Un film classique par sa forme, mais drôle et acidulé grâce à l’interprétation de Keira Knightley et Sam Rockwell entre autres. La réalisatrice hollywoodienne est connue pour la réalisation de comédies (Humpday, Ma meilleure amie, sa sœur et moi et Touchy Feely), ainsi que des épisodes de séries comme New Girl entre autres. Sa carrière s’inscrit dans une thématique gender, offrant des portraits d’hommes et de femmes modernes et atypiques. Avec Girls Only, la cinéaste reprend une trame narrative récurrente dans sa filmographie, car une fois de plus, on suit un personnage traversant une parenthèse émotionnel.

Megan est une trentenaire diplômée, à la recherche d’un emploi, et en couple depuis 10 ans avec son amour de lycée. Tout semble lui sourire. Pourtant, lors du mariage de sa meilleure amie, elle craque face à la pression de son entourage, et disparait quelques jours pour réfléchir à sa situation. Elle trouve refuge chez Annika, une adolescente qu’elle a rencontré la veille devant un supermarché, et s’intègre rapidement à la vie des ados.

Girls Only  répond au contrat passé avec le spectateur, offrant une comédie romantique classique hollywoodienne, qui répond aux impératifs dictés par le genre : féminin, drôle, sentimental et moderne. On attendrait plus de risque dans l’utilisation de ces codes, pour représenter au mieux les risques pris par Megan, car le film s’inscrit vraiment dans la tradition du genre et crée un déséquilibre entre le fond et la forme. Dommage donc pour cette conformité un peu ennuyeuse par moment.

Mais dans l’ensemble, le film est efficace et critique sur l’entourage de Megan, qui est caractérisé par des existences banales aux traditions superficielles. Il livre une critique des mœurs modernes qui imposent un stress aux individus, et notamment aux femmes, dont l’horloge biologique ne cesse de leur faire tourner la tête. C’est cette pression que Megan ne supporte plus, et qui l’empêche de répondre à ses véritables désirs. Mais c’est également une critique de la nouvelle mode du cinéma hollywoodien, qui met en avant ces traditions dans de nombreux films du style de 40 ans mode d’emploi. Ce retour à l’adolescence est une manière d’échapper aux responsabilités « des grands », de retarder le moment où il faudra y faire face. Mais c’est également une manière de se demander ce qu’est un adulte. Est-ce la fin de la rigolade ? Avoir 30, est-ce forcément synonyme de mariage et enfants, d’une vie simple et calme entre adultes ? Lynn Shelton semble répondre que non, ce n’est pas la fin, et qu’il faut savoir composer sa vie en fonction de ses désirs. A travers le personnage de Megan, elle nous invite à retourner aux sources pour mieux nous connaitre. C’est pourquoi elle place son personnage dans le milieu des adolescents, thème qui lui tient à cœur depuis son premier film We go way back (2006). 


Girls Only, réalisé par Lynn Shelton, actuellement en salle !

samedi 11 avril 2015

La cigarette au cinéma



Suite aux polémiques concernant l'alarme tirée par Michèle Delaunay, ancienne ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie, sur la trop grande présence de tabac sur les écrans français, je décide d'écrire quelques mots pour partager mon indignation.

Supprimer la cigarette dans les lieux publics oui, mais au cinéma il ne faut pas exagérer. Pour quels motifs ? Mauvais exemple pour la collectivité ? Incitation au tabagisme ? Dans ce cas là supprimons également les scènes de nus et de meurtre, et créons un nouveau Code Hays 2.0. Il ne s'agit pas d'une question de santé, mais de liberté d'expression et de représentation. L'art est le miroir du monde, représentation aux formes infinies de notre univers et des éléments qui le composent. La cigarette est un de ces éléments. Elle a sa place au cinéma ! Ignorer son existence volontairement serait une atteinte aux droits de création, et une déformation/négation du réel. Ce problème n'est pas du ressort de la santé, mais de la culture, qui doit répondre à cette question : quelle culture pour demain ? Quelle éthique du cinéma ? 

Comment réaliser un biopic sur Serge Gainsbourg, sans la présence d'une cigarette (ou plusieurs) à l'écran ? Que faire d'une série comme Mad Men sans l'essence d'une Lucky Strike dans l'air ? Comment prendre au sérieux Tony Montana avec un patch de Nicotine ? Ou encore, comment faire pour plaindre la pauvre Bridget Jones lors de ses prises de bonnes résolutions annuelles ?

Unissons-nous contre ce puritanisme, l'allure totalitariste, qui fait défaut au 7ème Art !