Un triangle amoureux, Benoît Poelvoorde, Charlotte Gainsbourg et Chiara
Mastroianni. Quoi de mieux pour faire un bon petit drame français, déjà vu,
revu et re-revu.
Le pitch annonçait pourtant un potentiel cinéma : Mark, de passage à
Lyon, loupe son train de retour, et rencontre une femme, Sylvie, qui lui fait
une visite guidée de la ville. Charmés l’un par l’autre, ils se donnent
rendez-vous quelques jours plus tard à Paris. Mais Mark, pris d’un malaise
arrivera trop tard au rendez-vous. Les mois passent et il rencontre une
nouvelle femme, Sophie, qui le rend heureux, mais qui se trouve être la sœur de
Sylvie.
Le film est vendu comme un thriller romantique, sous la forme d’un
ensemble de chapitre où les personnages se croisent et se manquent tels des
fantômes. C’est l’absence de Sylvie qui semble réunir Mark et Sophie, mais
cette absence participe également à un mystère, un suspense, plus pour Mark que
pour le spectateur, qui a un point de vue omniscient. Le spectateur attend de
voir quand et comment les deux personnages vont se revoir, comment ils vont
réagir et gérer la situation. Certaines thématiques sont abordées à travers le
personnage de Mark qui recherche un lien fort avec quelqu’un, il dit beaucoup
vouloir entrer dans l’intimité de l’autre, et c’est au fond ce dont traite le
film : l’intimité. Deux sœurs qui partagent le même homme, c’est
terriblement incestueux et c’est, d’une certaine manière, de cette façon que
Mark pénètre dans l’intimité de ces deux femmes.
Mais au-delà de ces présences fantomatiques qui font toute la force du
film, et cette tentative de recherche de l’intime, il n’y a rien. Le film est
si mal construit que le spectateur ne crée pas d’empathie avec les personnages.
C’est un enchainement de petites séquences qui montrent tout et rien en même
temps. On ne croit pas à la rencontre entre Charlotte Gainsbourg et Benoît
Poelvoorde, puis à la rencontre entre Benoît Poelvoorde et Chiara Mastroianni.
Le film passe trop vite sur les évènements et laisse un goût amer de
superficialité, car il veut trop dire. Et lorsqu’on veut trop dire, ça ne veut
plus rien dire du tout.
Le plus grand défaut, à mon humble avis, reste du côté technique. Trois
problèmes : les perpétuels fondus au noir qui symbolisent la fin d’une
séquence/d’un chapitre, la musique, et la voix-off d’un narrateur, qui
intervient en plein milieu du film pour dire peu de choses. J’ai un avis ouvert
et libéré quant aux formes cinématographiques, qui ne doivent pas faire l’objet
d’une classification où on établirait quand et comment les utiliser. Le cinéma
doit s’affranchir de ses propres codes pour atteindre le label d’Art. Mais (il
y a toujours un mais) cela doit être « justifié ». Il faut qu’il y
ait un sens, conscient ou pas, pour le réalisateur, qui puisse se confronter à
celui du spectateur. Cette voix-off n’a absolument aucun sens, car le
spectateur est habitué depuis le début à un jeu abstrait, où peu de choses se
disent entre les personnages (ni même les prénoms), comme s’ils se comprenaient
instinctivement. Les échanges du film reposent entièrement sur le regard, le
reflet (beaucoup de miroirs), l’absence, bref des éléments qui parle d’eux même
et qui par la mise en scène devraient transmettre quelque chose au spectateur. Alors
pourquoi cette voix tente-elle d’expliquer ce que les personnages n’ont pas
besoin de dire ? Pourquoi rompre le seul charme du film en mettant des
mots là où il n’y en a pas besoin ? Cela va de pair avec la musique.
Pourquoi imposer au spectateur une musique lourde et grave de thriller pour
appuyer chaque temps fort, au lieu de laisser le jeu des acteurs le faire ?
Enfin, je dirai que je film manque d’homogénéité, et ressemble plus à un
ensemble de séquence qui, prise seules ou ensemble, n’ont pas plus de sens.
Peut-être que cela participe à une traduction de la fracture, celle de Mark qui
a plusieurs vies à travers plusieurs femmes, et cela se justifierait. Mais ce
découpage gêne et empêche d’entrer pleinement dans la fiction.
Par ces artifices de mise en scène, le film écrase le talent des acteurs
et empêche le spectateur de s’approprier l’histoire. Benoît Jacquot a choisis
une problématique originale, et a tenté d’en extraire des éléments intéressants,
mais on a le sentiment qu’il s’est lui-même perdu en route.
3 Coeurs, réalisé par Benoît Jacquot. Actuellement au cinéma.
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